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Aux arts (et cætera)

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cartierD’ambitieuses fondations privées redonnent à Paris une place de choix sur la carte de la création contemporaine tout en exaltant la gloire de groupes de luxe. Ou comment l’art, insigne ultime du pouvoir, est devenu le terrain de jeu favori des grands capitaines d’industrie.

Par Hervé Dewintre

Au fond, les grands seigneurs français ont toujours eu tendance à souligner l’éclat de leur règne par les arts (“qui sont la gloire des nations” pour Louis XVIII) et plus précisément, par l’architecture. Comme si l’édification de bâtiments grandioses, singuliers, était le moyen ultime – le seul même – capable d’attester une puissance passée à des générations futures. Louis XIV nous a offert Versailles, Georges Pompidou un centre à son nom, François Mitterrand la pyramide du Louvre, Jacques Chirac le Musée du quai Branly. C’est un fait : l’art et le pouvoir ont toujours été intrinsèquement liés. On répète souvent, à tort ou à raison, que le pouvoir politique a désormais cédé de sa puissance aux capitaines d’industrie ou de la finance. Assertions que seuls les historiens seront en mesure de juger. En tout cas, il n’est pas anodin de constater que Paris bénéficie désormais de trois espaces exceptionnels dédiés à l’art contemporain grâce à la passion de trois géants de l’industrie du luxe. Le fait qu’ils aient choisi Paris pour exposer leur collection respective résonne comme un cri d’amour et de reconnaissance à la cité qui, par son foisonnement créatif et l’étendue de ses savoir-faire, a permis l’émergence de leurs groupes de luxe. Comme si, en somme, l’art n’était plus la gloire des nations, mais la gloire des entreprises qui elles-mêmes sont devenues la gloire des nations.

LE PRÉCURSEUR
Dans l’industrie du luxe, tout le monde connaît Alain Dominique Perrin, il est unanimement respecté. Son parcours exemplaire chez Cartier, dont il fut le président durant trois décennies, puis chez Richemont (puissant groupe suisse de luxe comprenant Cartier, Van Cleef & Arpels, Piaget, ainsi qu’un nombre impressionnant de manufactures horlogères prestigieuses) a inspiré de nombreuses vocations. Bon vivant, ami de Claude François, de Lou Reed, de Gérard Lenorman et de François Pinault, exécuteur testamentaire de l’artiste César, ce natif de Nantes, qui prit sa retraite en 2003, fut le précurseur du luxe contemporain. Ses intuitions, qui peuvent sembler évidentes, méritent qu’on s’y attarde encore aujourd’hui : “Ne pas confondre cher et luxe ; le luxe et la mode, ce ne sont pas les mêmes métiers: la mode, ça se démode, le luxe ça ne disparaît jamais.” La France lui doit l’inscription de la loi sur le mécénat privé dans la constitution. Paris lui doit la Fondation Cartier, une idée – sans équivalent à l’époque – qui lui fut soufflée par César.
Nous sommes en 1984. Alain Dominique Perrin pressent à l’époque qu’il faut non seulement inscrire Cartier dans la pérennité, mais aussi dans la société civile. L’exemple, c’est le Danemark, qui fut précurseur du mécénat moderne en entreprise. Plus prosaïquement, reconnaitra-t-il plus tard, il s’agissait aussi de faire en sorte que Cartier ne soit pas rejetée par l’intelligentsia de gauche en dépassant sa condition de maison de luxe pour devenir un acteur de la modernité et de la création. Jamais il ne fut question de faire briller Cartier par le foot, la F1 ou les voiles, Cartier brillerait avec les artistes ! Avec quelques règles strictes et intangibles devenues des lois immuables dans la maison : les artistes exposés à la Fondation Cartier ne sont jamais mis en contact avec Cartier – qui se suffit à lui-même – pour créer des objets ou des produits. “Faire travailler un artiste sur une affaire commerciale, c’est prendre le risque de le détruire”, les opinions d’Alain Dominique Perrin sont parfois tranchées. Il n’hésita pas à déclarer que les œuvres de Jeff Koons ou de Murakami ne passeront pas à la postérité : “Certains collectionneurs sont las de voir décliner l’art de Murakami sur des accessoires.”

baL’ICEBERG ÉTINCELANT
Octobre 2014. Trente ans jour pour jour après l’ouverture de la Fondation Cartier, une foule de personnalités se réunit à la frontière de Paris et de Neuilly autour d’un bâtiment hors normes, une sorte d’iceberg métallique qui dresse avec majesté ses coques-élytres saisissantes et ses verrières étincelantes dans le ciel du bois de Boulogne. C’est la Fondation Louis-Vuitton qui vient d’être inaugurée par François Hollande et Bernard Arnault, un projet titanesque mené à bien par l’architecte Frank Gehry. Bernard Arnault, le PDG de LVMH qu’on ne présente plus, est réputé pour sa pudeur, un homme du Nord. Le plus célèbre patron de France préfère parler de son entreprise plutôt que de sa personne. S’il lui arrive de communiquer sur sa passion pour les mathématiques (“l’important, c’est la dérivée!”), pour le piano ou pour l’architecture, on connaît moins l’affection qui le lie à l’art contemporain. Moins flamboyant que chez d’autres collectionneurs plus expansifs, ce lien n’est pourtant pas moins conséquent. En tout cas, il vient de loin : du début des années 1980 lorsque le futur patron de Dior acheta ses premières œuvres de Picasso, Matisse, Calder ou Rothko.

Ci-dessus Bernard Arnault

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La Fondation Louis Vuitton

S’il possède la maison de ventes d’art britannique Phillips, le PDG de LVMH s’est toujours refusé à être un mécène solitaire. Suzanne Pagé, qui fut la remarquable directrice du Musée d’Art moderne de la ville Paris, assure depuis 2006 la direction artistique de la collection Louis Vuitton. Elle insiste sur un point visiblement décisif à ses yeux : les œuvres achetées pour cette collection ne sont pas destinées à être revendues. Comme si, en filigrane, se détachait de ce projet d’envergure une hantise de l’éphémère. Il est vrai que Bernard Arnault, qui se reproche parfois d’être impatient, parle souvent du temps. L’admiration qu’il porte à Bill Gates est sincère, mais pas autant que son amour pour la durée: “Dans cent ans, on appréciera toujours Dom Pérignon (propriété de LVMH, ndlr) mais on ne se souviendra pas forcément de Microsoft.”

flv2LA BOURSE ET LA VIE
 “C’est une très belle journée !”, Anne Hidalgo gratifie d’un sourire radieux chacun des journalistes venus à cette conférence de presse matinale. Nous sommes le 27 avril. François Pinault est présent, ses enfants aussi. Le maire de Paris ne cache pas sa joie : “C’est une chance inouïe d’accueillir à Paris la collection de Monsieur Pinault !” La rumeur courrait depuis plusieurs mois : François Pinault veut créer un espace dédié à l’art au cœur de Paris. On hésitait à y croire tant le sort s’était acharné contre le puissant fondateur du groupe Kering (qui possède entre autres Gucci, Saint Laurent et Bottega Veneta). En 2005, un projet de musée extraordinaire situé sur l’ancien site des usines Renault de l’île Seguin avait été annulé. En cause, diverses lenteurs liées à de nombreux intérêts contradictoires. Le collectionneur s’était alors tourné vers Venise, où il s’est offert le Palazzo Grassi et la Punta della Dogana pour y exposer une partie de sa collection personnelle. L’anecdote est bien connue : en 2003, lorsqu’il décide de prendre sa retraite et de confier les clefs de son empire à son fils, celui- ci s’inquiète : “Mais que vas-tu faire maintenant ?”, demande François-Henri Pinault à son père. Le Tout-Paris était incrédule. On ne prend jamais sa retraite à ce niveau de responsabilités. Évidemment ce fut dur, les proches du magnat breton parlèrent de dépression mais, au final, l’art fut un puissant dérivatif. Et bientôt, une passion dévorante.
Cinq ans auparavant, en juin 1998, François Pinault s’était porté acquéreur de Christie’s, la plus grande maison de vente d’œuvres d’art au monde. Personne ne vit le coup venir. Cet achat lui ouvrit les portes du marché de l’art, lui facilita tous les contacts. Les experts raillèrent volontiers les mérites patrimoniaux de cette passion (les œuvres d’art ne sont pas soumises à l’impôt sur la fortune) et pourtant, nombreux sont les galeristes qui confient avoir vu un jour débarquer François Pinault, les yeux brillants, pour acheter l’œuvre obscure d’un artiste inconnu. Sa collection, commencée en néophyte à la fin des années 1980, est aujourd’hui l’une des premières au monde. François Pinault avait-il perdu l’espoir de voir un jour exposer une collection à son nom dans son pays natal ? Non, bien sûr. Il était même en négociations avec la ville de Paris dans le but de trouver un édifice digne de ce nom, de préférence au cœur de la capitale. On avait un temps parlé de l’espace Pierre-Cardin mais, fin avril, le suspens prit fin: ce sera la Bourse de commerce de Paris. François Pinault promet désormais une nouvelle vie à ce bâtiment superbe du XVIIIe siècle, qui jouxte la rue du Louvre. Martin Béthenod, sera le directeur du site, Tadao Andō l’architecte du projet. Les travaux doivent commencer en janvier 2017, la première exposition est prévue fin 2018. À cette date, quelques pâtés de maisons plus loin, se terminera enfin l’homérique chantier de rénovation de la Samaritaine qui incarnera, au cœur historique de Paris, l’installation définitive du luxe vu par LVMH. La partie d’échecs continue. Du grand art.

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