Quatrième dimension
Très attendue, l’exposition consacrée aux sculptures de Picasso a mis à contribution, outre les fonds du musée éponyme, les collections publiques et privées du monde entier. Virginie Perdrisot, conservateur et commissaire de l’exposition, nous éclaire sur cette épopée qui se propose d’interroger la notion de double, variante et multiple.
Propos recueillis par Yamia Benaï
L’Officiel Art : Quelle place cette exposition – présentée à la suite de la rétrospective du Moma New York achevée en février dernier – et annoncée comme exceptionnelle, tient-elle dans l’histoire des grandes rétrospectives consacrées à l’artiste ?
Virginie Perdrisot : Cette exposition est la première grande exposition consacrée à l’œuvre sculpté de l’artiste au musée Picasso. Elle s’inscrit dans le rayonnement de l’exposition rétrospective “Picasso Sculpture” du Museum of Modern Art de New York, dont le musée Picasso fut partenaire en accordant le prêt exceptionnel de 49 sculptures issues des collections de l’artiste, ainsi qu’un ensemble d’œuvres graphiques de Picasso et de photographies de Brassaï. Rares ont été les occasions de voir exposé à Paris un tel ensemble de sculptures. En 1966, l’exposition “Hommage à Picasso”, au Petit Palais, a révélé l’ampleur de la production sculptée jusque-là méconnue du grand public. En 2000, l’exposition “Picasso sculpteur” organisée par Werner Spies au Centre Pompidou a créé à nouveau l’événement en posant les premiers jalons de l’histoire des sculptures de Picasso. C’est aujourd’hui un nouvel éclairage qui est porté sur les œuvres, dont certaines sont ici exposées pour la première fois.
Comment et pourquoi Picasso passe-t-il de la peinture à la sculpture puis, plus tard, à la céramique ?
La production sculptée chez Picasso n’est pas une pratique linéaire mais elle se nourrit d’un dialogue incessant et permanent avec les autres domaines de création : peintures, dessins, gravures, céramiques. Picasso a véritablement outrepassé les règles du genre sculptural qui n’est plus un processus isolé mais qui se construit à partir de la polysémie des matériaux. Dès la période cubiste, en 1914, la série des Verres d’absinthe lui donne la possibilité de réaliser des sculptures peintes ou peintures tridimensionnelles, une technique polychrome qu’il renouvellera dans ses bronzes peints des années 1950, mais aussi dans la série des sculptures pliées et peintes à la fin de son œuvre. La création céramique procède elle aussi d’un même goût pour le volume et le matériau. L’original de Femme se coiffant de 1906 est en céramique. La céramique devient l’une des composantes mêmes de la sculpture dans les assemblages en plâtre de Vallauris comme Femme enceinte ou La Chèvre par exemple.
Parmi les pièces issues des 70 prêts consentis, la série des six Verres d’absinthe (1914), rendus uniques par le geste de l’artiste qui additionne à leur surface divers éléments, et les deux versions de la Femme au jardin (1929-1930), mais aussi un ensemble de tôles peintes. Quel éclairage l’exposition apporte-t elle sur le processus créatif et la notion de variante et de multiple ?
La sérialité est chez Picasso au cœur même du processus créatif. Il disait s’intéresser en effet davantage au “mouvement de sa pensée” qu’à sa “pensée elle-même”. Dans la série des Verres d’absinthe, les variations offertes par la polychromie lui donnent la possibilité de fouiller un motif en modifiant par la peinture, et parfois par l’ajout d’une couche de sable, l’équilibre entre le vide et le plein, entre la transparence et l’opacité. Pour Femme au jardin en fer peint en blanc, Picasso fait réaliser une reproduction en bronze assemblée par l’artiste catalan Julio González. Dans son exposition rétrospective organisée à la Galerie Georges Petit à Paris en 1932 et dont il a lui-même dirigé l’accrochage, Picasso a présenté sa sculpture comme multiple, les deux sculptures se regardant l’une l’autre. C’est ainsi que nous les présentons aujourd’hui dans l’exposition “Picasso. Sculptures”. Dans la série des sculptures en tôle pliée et peinte, c’est toute une palette de variations autour d’un même modèle que l’on observe, par exemple, dans le cas de Femme aux bras écartés de 1961. Dans la dernière salle de l’exposition qui lui est consacrée, sont exposés les différents états de la sculpture depuis l’original en carton, en passant par les maquettes et agrandissements en tôle, jusqu’à sa version monumentale en béton gravé.
Vous avez opté pour un déroulé chronologique et thématique au long duquel s’égrènent 160 sculptures, auxquelles s’adjoignent des dessins et peintures de Picasso : sur quels critères avez-vous procédé aux choix, qu’est-ce que le parcours de l’exposition met en évidence ?
L’exposition est construite à partir d’ensembles autour de pièces emblématiques, où la sculpture est située dans son contexte de création et vis-à-vis de ses pairs. Ainsi, pour montrer la grande notoriété de la Tête de femme (Fernande) de 1909, qui connut une exceptionnelle diffusion grâce aux reproductions en bronze, aux expositions et aux photographies de l’œuvre dans les revues d’art, nous avons choisi de présenter six exemplaires issus de ce même modèle (2 plâtres et 4 bronzes). Dans d’autres salles, la question du multiple est interrogée à travers le changement de matériau comme le passage du plâtre au bronze ou au ciment, ou celui du carton à la tôle ou au béton.
À VOIR – LIRE
“Picasso. Sculptures”, jusqu’au 28 août
Musée Picasso, 5, rue de Thorigny, Paris 3, Tél. 01 85 56 00 36 . www.museepicassoparis.fr ; Picasso. Sculptures, catalogue sous la direction de Virginie Perdrisot et Cécile Godefroy, 344 p. et 300 illus. couleur.
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