Comment grandir sous les sunlights ? Là où Natalie Portman, Scarlett Johansson ou Leonardo DiCaprio ont relevé le défi, d’autres ont sombré. Beaucoup d’appelés, peu d’élus, mais pour ces derniers, les carrières les plus remarquables du cinéma.
Par Delphine Valloire
À 10 mois, 8 ans ou 14 ans, ils sont déjà en haut de l’affiche. Ils ont leur fan-club, leur visage imprimé sur des paquets de céréales. L’argent, la célébrité, le monde à leurs petits pieds. Avant leur première acné, ces enfants stars vivent une expé- rience qui rendrait la plupart des adultes fous à lier, ivres d’eux-mêmes. Jusqu’à ce qu’arrive l’inévitable : grandir. Là se présentent à peu près trois cas de figure: ceux qui s’en tirent, ceux qui s’enfuient pour sauver leur peau et ceux qui en crèvent. Pour les jeunes épaves échouées sur les rivages de la gloire, il est plus question de survie que de glamour. Pourtant, ce phénomène n’est pas près de s’arrêter. L’industrie du cinéma a toujours été avide de chair fraîche : depuis le Kid de Chaplin, les mômes font du chiffre et séduisent instantanément un public attendri. Mais en un siècle, les choses ont changé : les enfants et les ados sont de plus en plus sexués à l’écran, transformés comme ces frêles mannequins sur les podiums en objets de désir. Bien sûr, depuis, une loi porte le nom du Kid, Coogan, et protège l’enfant de ces proches qui, par exemple, pourraient lui voler son salaire. Ces lois sont appliquées à la lettre: horaires, vacances, interdits… Mais reste le plus important à (di)gérer : la célébrité. La personnalité et le physique de ces baby-superstars sont en chantier et pourtant leur image est déjà là, imprimée à jamais, dans l’inconscient collectif. Il est facile de trébucher dans cet abîme qui va se creuser entre ce fantasme et la réalité. En machine infernale, Hollywood, comme la société, encourage le toujours plus haut, plus vite, plus beau, toujours plus jeune. Mais n’oubliez pas, depuis les années 1950, des milliers d’enfants ont défilé de pubs en téléfilms, de séries en blockbusters. Tout cela n’est que la partie émergée de l’iceberg: pour un nom connu, un bon millier est oublié. Un seul point commun pour ces petites mains de la grande usine à rêves : tous y ont cru.
Gueules cinégéniques
Une vraie question se pose: pourquoi certains s’en tirent et d’autres pas? La beauté est un des critères décisifs. Épée de Damoclès, l’âge ingrat signifie souvent la faillite. Haley Joel Osment en sait quelque chose : après ses rôles dans le Sixième sens et A.I., son physique ne suit plus; il a opté pour les études. Souvent aux castings, les responsables détaillent les dents des enfants comme pour des esclaves. Et l’image de soi une fois devenus adultes ? L’univers cauchemardesque et obscène des pageants, ces concours de beauté pour enfants à la Little Miss Sunshine, n’est pas loin. Pour les enfants stars, tout se joue sur ce coup de poker total : qu’est-ce que va devenir ma gueule ? Dans le meilleur des cas, l’alchimie passe entre un visage et la caméra, une électricité phénoménale qui ne s’éteindra pas. Les yeux violets d’Elizabeth Taylor ont traversé sans mal les décennies, de Lassie (à 9 ans) jusqu’à Qui a peur de Virginia Woolf? La voix grave et la présence de Scarlett Johansson à 13 ans dans L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux étaient déjà cinégéniques.
Acteur surdoué dans Blessures secrètes et Gilbert Grape, Leonardo DiCaprio gère aujourd’hui plutôt bien la notoriété sidérale qui l’a frappé après Titanic. Et puis, derrière un enfant, il y a toujours des parents. Plus ou moins protecteurs, plus ou moins hystériques. Souvent péjoratif, le terme stage mother désignant la mère d’un enfant acteur, momager si elle est manager, sous-entend une pression sur l’enfant pour qu’il réussisse. Un enfant star, c’est la gloire par procuration. Milla Jovovich, découverte à 11 ans par le photographe Richard Avedon, a été coachée d’une main de fer par sa mère, actrice de théâtre en ex- URSS exilée à Los Angeles, qui l’a élevée pour être une star. Plus à l’extrême, certains parents n’ont pas de scrupules à “revendre” leur progéniture.
Dans les désastres récents, la fêtarde et irresponsable Dina Lohan fait cas d’école avec Lindsay Lohan, mais on peut aussi citer Joseph Jackson (père violent de la famille Jackson), Joe Simpson (père de Jessica et d’Ashlee Simpson), ou Kit Culkin, mis en cause au moment de la retraite forcée de Macaulay, à 14 ans. Pas en reste, les professionnels voués à ce business ne font pas passer de tests psychologiques, seulement des tests de caméra, amoureuse ou non d’un jeune visage. Entendu d’une des plus grandes directrices de casting en France, qui multiplie les castings sauvages dans les écoles ou dans la rue: “On n’est pas responsable de la vie des gens.” Ah oui, vraiment ?
Brillantes reconversions
Face à cela, l’éducation et la passion jouent souvent un rôle de paratonnerre. Après son rôle, à 13 ans, dans Léon, Natalie Portman obtient un diplôme à Harvard en psychologie, puis se bat pour des causes environnementales et politiques. Elle gère sa carrière à la lumière de son savoir. Le recyclage suit parfois des chemins sinueux : après un oscar à 6 ans, Shirley Temple devient le premier enfant acteur “marketé”. Elle se reconvertit dans la politique en 1969, devient déléguée aux Nations unies, puis ambassadrice. Il y a aussi ceux qui s’échappent totalement du système après le succès, comme le petit Danny de Shining, Danny Lloyd, aux dernières nouvelles professeur de biologie. Au final, le salut est souvent une question de force intérieure.
Exemple d’équilibre, Jennifer Connelly commence pourtant de façon hardcore en petite fille érotisée et magnétique dans Il était une fois l’Amérique, puis face à David Bowie dans le zarbi Labyrinth, et enfin traquée par un tueur et communiquant avec des insectes dans le très gore Phenomena, de Dario Argento. Aujourd’hui, égérie Louis Vuitton, elle brille sur les écrans comme dans la vie.
Autre question, le pactole touché à la majorité peut-il servir de remède ? Même pas. Exemple flagrant, les sœurs Olsen. Pour cause d’une législation stricte sur les heures de travail des enfants, les jumelles ont été recrutées à 6 mois pour jouer un seul rôle : celui de Michelle dans La Fête à la maison. De ce casting, Mary-Kate et Ashley Olsen disent : “La seule chose qui a fait la différence, c’est qu’on n’a pas pleuré.” Les bébés mignons grandissent puis, comme des personnages Disney, deviennent des produits : T-shirts, crayons, papier toilette, tout y passe. Résultat, à 18 ans, ces deux multimillionnaires sont vues comme des actrices ratées, des fashion addicts radicales éprises de fourrures, poursuivies par la Peta et les paparazzis. La presse américaine les surnomme “les Trolls”. À leur décharge, on peut préciser qu’elles ont créé leur propre marque très luxe et très pointue: The Row. Moins sage qu’Ashley, Mary-Kate, son double rock, défraie la chronique par ses semi-frasques. Pour ces filles en or massif, la parano est devenue un mode de vie. De nuit, de jour, 365 jours par an.
Défaut d’insouciance
Cas ultime du business sur l’enfant : Harry Potter. À partir de 2001, Daniel Radcliffe et les autres, sous contrat de 11 à 21 ans, ont grandi devant la caméra, incarnant les mêmes personnages dans cette série de films qui explose tous les records de bénéfices de l’histoire du cinéma. Pour résumer: de la boulangère en Islande à l’électricien japonais, tout le monde connaît le visage de ces richissimes “magiciens”. Ce concept ressemble presque à une expérience scientifique sadique sur des rats de labo.
Le succès n’est pas la panacée non plus. En petite goule au sourire pervers, Kirsten Dunst débute en fanfare dans Entretien avec un vampire, entre Tom Cruise et Brad Pitt. Aujourd’hui, après la décapitation critique et publique de sa Marie-Antoinette aux macarons et ses multiples désintoxications, le soleil brille moins pour Kirsten, même si le style est toujours là. Seul point commun à tous: ils n’ont pas connu l’insouciance. Souvent soutiens de famille à 10 ans, ils triment comme des malades, avec des horaires astreignants et surtout des contrats, la responsabilité du succès d’un film de plus d’une dizaine de millions de dollars sur le dos, en plus des médias pour qui le petit prodige fait vendre du papier. Il faut assurer devant les objectifs, sur un tapis rouge ou au supermarché, faire face aux rejets dans les castings. Souvent l’alcool, les drogues deviennent des béquilles. Tobey Maguire (qui, enfant, a traîné ses basques dans Walker, Texas Ranger ou Roseanne) fréquente ado les alcooliques anonymes, réussit à décrocher, puis décolle avec Ice Storm avant d’être Spider-Man. Pour se donner une contenance, beaucoup s’adonnent à ces pilules surnommées à Hollywood les dolls (les poupées), qui sont des upper & downer (excitants et calmants).
La gloire au prix fort
Forcément, la tragédie n’est jamais bien loin de ces expériences extrêmes. La carrière de Brad Renfro, excellent acteur propulsé à 10 ans avec Le Client, puis Sleepers et Bully, s’arrête après une arrestation pour possession de drogue, en 2005. Il travaille moins et la malchance le suit jusqu’à la fin : sa mort par overdose d’héroïne, à 25 ans, passe inaperçue, éclipsée par celle d’Heath Ledger, le même jour. Pas de dernière lettre, seulement quelques mots tatoués deux jours plus tôt : “Fuck all y’all”. Les Phoenix traînent aussi leur malédiction. Joaquin commence à 10 ans à la télé (Arabesque), puis se fait remarquer dans Prête à tout. Il ne suivra pas la voie autodestructrice tracée par son frère, River Phoenix. Celui-ci, adulé après Stand by Me et Mosquito Coast, meurt en pleine gloire, en 1993, devant le Viper Room à Los Angeles, d’une overdose d’héroïne et de cocaïne. Éternel James Dean ado, sa grâce juvénile reste donc intacte, éblouissante dans My Own Private Idaho, gravée sur l’écran comme un pacte faustien, une déclaration d’amour sacrificielle au cinéma.
Derrière les légendes dorées se cachent toujours une douleur incommensurable, un déséquilibre inévitable. Il faut faire face à la violence d’être célèbre, à la violence du regard des autres, des millions d’autres qui vous reconnaissent dans la rue, à la violence du pouvoir, de l’argent, d’une industrie avide de jeunesse, à la violence de vieillir, d’un physique qui change. Il faut accepter l’idée d’être potentiellement “fini” au moment où l’on commence sa vie d’adulte. Symbole de réussite, Jodie Foster, inoubliable en Iris, petite tapineuse du Taxi Driver de Scorsese, a payé le prix fort pour ce rôle. En 1981, un psychopathe a failli de peu assassiner le président Reagan pour attirer l’attention d’“Iris”. Depuis, la surdouée a surmonté le trauma en devenant étoile, auréolée de deux oscars. Finalement, ces mômes souffrent tous d’un manque irréparable: la perte de la candeur, d’une enfance passée à la trappe. Et l’innocence n’a pas de prix. Pour ces petits princes des médias, rodés, blasés, cyniques trop tôt, le paradis des feux de la rampe prend souvent des allures de flammes de l’enfer. Les contes de fées n’existent pas. Sauf à l’écran. La magie du cinéma ?
Et chez les Frenchies ?
Au rayon culte, le petit Antoine Doinel n’a pas son pareil. alter ego de Truffaut, Jean-Pierre Léaud a commencé ado dans Les 400 coups, pour grandir sous l’œil du maître. après vingt ans de passage à vide, il réapparaît parfois dans des films, imprévisible. Plus posé, Benoît Magimel cartonne à 12 ans dans La vie est un long fleuve tranquille. “Momo” fait son chemin: Kassovitz, Téchiné, Haneke, Chabrol… Jeu, set et match. Sophie Marceau, elle, fait tout pour que sa Boum à 13 ans ne soit pas un simple coup: elle enchaîne à la dure avec Pialat et Zulawski. Charlotte Gainsbourg, adolescente farouche dans L’Effrontée, remporte un César sous le regard ému de son papa. “Ortie devenue une orchidée” comme il l’avait prévu, elle joue pour Doillon, Chéreau, Iñárritu, Gondry et Todd Haynes.
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