Belles mécaniques
Alors qu’en février dernier Rétromobile inscrivait un record mondial d’adjudication, et à l’occasion de la vente Le Mans Classic le 9 juillet prochain – tous deux orchestrés par Artcurial Motocars –, L’Officiel Art a rencontré Hervé Poulain, commissaire-priseur et ex-coureur automobile, “créateur” du concept des Art Cars qui, de 1976 à 1982, plaçait entre les mains d’artistes (Calder, Frank Stella, Roy Lichtenstein, Andy Warhol, Arman…) une voiture de course dont l’ensemble de la carrosserie devenait champ libre d’expression. Maître Poulain nous fait partager son expertise.
Propos recueillis par Yamina Benaï
L’OFFICIEL ART : Comment, aujourd’hui, se porte le mythe automobile ?
HERVÉ POULAIN : Il n’y a plus de hiérarchie possible entre les arts supposés nobles et les autres. Le mythe automobile ne survit que dans deux registres : l’un, héroïque, la course, l’autre nostalgique, la collection. Les hasards de la vie ont fait que je me suis trouvé à la conjonction des deux, parce que j’ai couru les 24h du Mans à onze reprises.
J’ai été le premier, avec mes Art Cars, à établir un pont entre l’art et l’industrie, deux mondes qui s’ignoraient au mitan des années 1970. Ma provocation à moi avait été de dire qu’une automobile, lorsqu’elle est réussie, est beaucoup plus importante qu’un Renoir. Sacrilège ! Eh bien nous y sommes, avec les prix des voitures qui sanctionnent cette nouvelle lecture : 16 millions d’euros en 2015, record mondial de l’année pour une Ferrari 250 GT SWB California Spider de 1961 provenant de la Collection Baillon, et cette année 32 millions qui constitue le record mondial historique pour une voiture de collection vendue aux enchères. Il s’agissait d’une Ferrari Spider Scaglietti de 1957 335S, de la collection Bardinon. Elle avait tout pour elle, non seulement une beauté dessinée par le vent, mais aussi un sacré pédigrée : elle avait été pilotée par les plus grands.
Qu’est-ce qui, selon vous, propulserait l’automobile au rang d’œuvre d’art ?
Si l’on y réfléchit, elle est plus qu’œuvre d’art. En effet, elle est vivante, elle est le mouvement. Si, en 1975, j’ai choisi Calder comme premier artiste pour s’emparer d’une voiture, c’est qu’il est l’inventeur du mouvement dans la sculpture, or, l’automobile est une sculpture vivante, elle offre la marque du siècle qui est l’accélération du temps, la vitesse. De plus, elle est habitée. Quelle œuvre d’art procure cela ? Dans le même objet s’expriment les pointes du génie humain : l’esprit scientifique dans les organes mécaniques, l’esthétique dans les lignes, l’ingéniosité dans la vélocité… il m’apparaissait une évidence que, dans ses meilleures réalisations, l’automobile est une œuvre d’art parfaite. Il y a donc une quarantaine d’années, j’ai initié les ventes aux enchères d’automobiles de collection, à l’époque nous en présentions une dizaine, dont les spécifications tenaient en deux lignes, alors qu’aujourd’hui les descriptifs sont prolixes et savants. C’est nous, par notre façon de les décrire qui les individualisons.
Pour les voitures de course, autre particularité : elles ont été faites pour gagner. C’est plus qu’une provenance. Je veux dire par là que la coiffeuse de Marie-Antoinette, celle qui a reflété le dernier regard de la reine en route pour la Conciergerie, a une valeur autre que celle qui, issue du même ébéniste, n’aurait pas d’histoire à raconter. C’est une donnée strictement objective, onirique. Alors qu’une automobile de course, elle, a été conçue pour la victoire. Si elle a gagné, elle a atteint son objectif et sa plénitude. Si elle a échoué, elle est incomplète. Le palmarès pour une voiture de course est donc capital. On a éduqué les collectionneurs à le comprendre. Autre particularité : la notion de progrès n’a pas de sens en art, elle en a en automobile, c’est-à-dire que l’on observe un glissement du marché, des automobiles les plus anciennes vers les sportives d’après-guerre. C’est une conception complètement erronée d’imaginer que le collectionneur se contente de flatter la croupe de ses voitures dans son garage, le plaisir suprême c’est rouler !
Les automobiles ne sont pas des objets de musées, mais des entités dont le collectionneur enrichit l’existence, amplifie l’histoire.
C’est cela le plaisir suprême. Ce n’est pas l’accumulation. Le vrai collectionneur, comme un alchimiste, leur donne vie et en fait usage. Il y a différents types de collectionneurs, dans la mesure où l’automobile évolue, bien entendu, davantage dans le paraître que la bibliophilie ! Ainsi, notre vedette de la prochaine vente au Mans Classic est un châssis court. Elle a appartenu à un entrepreneur qui a prospéré dans l’éclat de la communication, s’est trouvé dans la lumière toute sa vie professionnelle, a collectionné des voitures, soit l’expression du paraître la plus extrême, il a conservé cette voiture durant 47 ans, mais reste un collectionneur discret, aux antipodes du show-off. Pour la petite histoire, la voiture n’était pas rouge à l’origine, mais bleu ciel.
Comment se positionne le public de collectionneurs français, par rapport aux Européens, aux Américains, aux Asiatiques ?
Historiquement, ce sont les premiers collectionneurs, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont été des casseurs au cœur tendre qui, ne pouvant se résoudre à broyer ces automobiles, les conservaient. Ainsi, près de Lyon, le Musée de l’Automobile Henri Malartre rassemble les pièces que cet industriel de la démolition automobile a sauvegardées en les préservant de la casse. La génération suivante est constituée de professions libérales (médecins, pharmaciens), amateurs de mécanique… Aujourd’hui, le profil s’est diversifié.
Les collectionneurs français n’ont qu’une seule caractéristique par rapport aux Américains, c’est qu’à partir d’un certain prix, ils ne suivent pas ! Et il ne s’agit pas seulement d’argent. La Ferrari de la dernière édition de Rétromobile a été acquise par un américain de l’Ohio qui possède une vaste collection et un circuit privé. Si un grand patron acquérait une telle pièce, ce serait perçu comme une provocation en France, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis, où le collectionneur montre son trophée, à la plus grande satisfaction du public. Je fais ici un lien avec le monde de l’art : en effet, la France est le seul pays au monde où le prêteur ne donne pas son nom.
Les plus audacieux accepteront “Collection privée, Paris”. C’est très significatif.
Qu’est-ce qu’est pour vous la notion de collectionneur ?
Avec une seule voiture, si modeste soit elle, vous entrez dans la fratrie des collectionneurs. C’est aussi une particularité de ce monde de l’automobile. Si on parle de collection telle qu’on l’entend, la collection est la quête, l’exemplarité et la cohérence. Qu’est-ce qu’une collection ? C’est un monde éparpillé auquel le collectionneur va donner une cohérence en réunissant les éléments. Mais, aujourd’hui, en France, je ne sens plus cette ambition : ni les moyens, ni même l’envie parce que les collectionneurs ne se sentent pas encouragés dans cette voie.
Certes, il y a de la sympathie populaire, mais l’objet automobile ayant été désigné par ses caractères polluants, par ricochet, le mythe en est atteint. Les collectionneurs français ne sont donc plus encouragés à aller au-delà de la notion de plaisir de posséder une ou quelques automobiles, à faire œuvre de corpus en rassemblant de nombreux véhicules. Mais le marché de l’art a cette vertu aussi d’attirer le regard du grand public sur de nouvelles richesses.
Quand je vends Le Baiser de Doisneau 150 000 euros, le public s’interroge positivement : “une photo, c’est de l’art?”. Lorsque Artcurial adjuge une planche de Tintin 2,5 millions d’euros, le public porte un regard différent sur ce media. Et en février dernier, à Rétromobile, cette enchère spectaculaire fait définitivement entrer l’automobile dans le domaine des Beaux-Arts.
À VOIR
LE MANS CLASSIC 2016
BY ARTCURIAL MOTORCARS
Vente le 9 juillet, 11h : Automobilia, 14h : Automobiles de collection.
Commissaire-priseur : Hervé Poulain.
Circuit des 24H du Mans, 72000 Le Mans, Tél. pendant l’expo le 8 juillet : +33 1 42 99 20 73.
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