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L’autre divan de Freud

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Lucian FreudChaque mois, l’écrivain Simon Liberati légende un cliché. Ce portrait du peintre Lucian Freud par le photographe John Deakin lui remémore les folles années de la bohème arty londonienne.

Par Simon Liberati

Portraitiste de Francis Bacon et de Lucian Freud, John Deakin fut un photographe aussi talentueux que négligent. Beaucoup de ses photos ne subsistent qu’à l’état de tirages aux bords déchirés, le genre qu’on fourre dans un tiroir, qu’on s’arrache lors d’une dispute ou qu’on oublie sur un bar. L’homme était connu comme un grand alcoolique. Ses modèles n’étaient pas des anges non plus. Si les excentricités violentes de Bacon ne furent un secret pour personne, dès le début des années 1960, celles de Freud, l’autre peintre anglais figuratif d’importance, restaient plus secrètes. Il faut lire le très beau livre de Geordie Greig édité par Christian Bourgois en 2013, Rendez-vous avec Lucian Freud. Un bon livre de plage quoiqu’un peu lourd.

Freud, qui se battit encore à 80 ans pour un différend à la caisse d’un supermarché de Holland Park, fut un monstre. Le nombre d’enfants naturels, de femmes trompées, de cassage de gueule, de bookmakers abusés, de créanciers volés est très supérieur à la moyenne d’un maquereau de l’Est End. Jusqu’à la toute fin, le peintre refusait de communiquer son adresse ou son numéro de téléphone à quiconque, il avait de bonnes raisons. Un créancier malfrat n’avait-il pas menacé de lui couper les doigts au sécateur ? La mère d’une héritière Rothschild voulait lui tirer des balles de revolver dans les rotules. Son naturel sournois et querelleur, que sa famille lui reprochait déjà enfant, s’était affirmé. Rien que la vue de la Bentley marron, que l’ours de Paddington conduisait comme un pirate, suffisait à effrayer le voisinage.

Le petit-fils de Sigmund Freud eut une vie sexuelle très moderne, toute sa vie durant. Un exemple parmi des centaines, en 1977 : ses amours, à 54 ans passés, avec Harriet Vyner, 17 ans, fille de propriétaire terrien et toxicomane qu’il quitta lorsqu’elle prit dix mois de prison à 18 ans pour une affaire de stupéfiants. Geordie Greig se souvient: “Il offrit à Harriet deux rats et un loup, elle devint jalouse en apprenant qu’il avait donné un singe à une autre maîtresse. Il l’emmenait chez Yves Saint Laurent, au grand dam des vendeuses qui le voyait entrer avec ses vêtements couverts de peinture. La boutique de New Bond Street était alors dirigée par une redoutable grande dame, Lady Rendlesham, qui ne cachait pas la désapprobation que lui inspirait la vue de cet homme âgé avec sa maîtresse adolescente.” Harriet, qui a gardé un excellent souvenir de Freud, a fait l’objet d’un portrait par son amant, Sleeping Head. “Les somnifères me faisaient dormir pendant la journée et il me peignait. Un jour, nous discutions pour savoir s’il trouvait certains hommes attirants il me dit que le seul avec qui il voudrait vraiment coucher était Lester Piggott, le jockey. C’était son héros.”

Voilà l’homme dont Deakin a fait ce joli portrait rêveur, en 1952 ou 53, dans son atelier de Paddington. À quoi rêve-t-il sur cette photo ? Le diable seul a désormais la réponse. Freud est mort en 2011, à presque 90 ans. Quant à Deakin, il avait fini seul et pauvre à l’hôpital, d’un cancer du poumon, en 1972. Il avait désigné Bacon comme son plus proche parent, ce qui a obligé ce dernier à reconnaître son cadavre. Commentaire et oraison funèbre de Bacon : “It was the last dirty trick he played on me.” (“Ce fut son dernier mauvais tour à mon égard.”)

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