La plus longue collaboration entre un créateur indépendant et une maison de mode est célébrée à travers un beau livre chez Fendi. Depuis 50 ans, Karl Lagerfeld enrichit en effet la célèbre maison de fourrure romaine de ses idées innovantes.
Par Patrick Cabasset
C’est un anniversaire hors du commun. Si personne n’imagine aujourd’hui passer un demi-siècle au service d’une même société, cet exploit n’est pas du genre à effrayer Karl Lagerfeld. “Les premiers souvenirs de mon travail chez Fendi sont liés à ma première visite aux cinq sœurs, via Frattina à Rome, dans un ancien cinéma qui venait d’être transformé en un immense salon de fourrure, dans un décor à la Visconti”, se souvient le créateur dans le DVD exclusif d’une interview réalisée par Loïc Prigent et qui accompagne le livre. Karl y raconte son rapport à Fendi en 50 questions/réponses. Fondée en 1925 par Adèle et Edoardo Fendi, la maison sera dirigée par les cinq filles des fondateurs dès à la mort du patriarche, dans les années 1950. Paola, Anna, Franca, Carla et Alda connaissent bien cet univers du cuir et de la fourrure : elles y sont nées. Mais elles savent aussi que côté style, leur impertinence frondeuse a ses limites. Elles font appel à un jeune designer d’origine allemande et parisien d’adoption. Karl Lagerfeld possède déjà un certain savoir-faire. Lauréat du premier prix de la Woolmark en 1954, au sortir de l’école – ex aequo avec Yves Saint Laurent –, il est repéré par Pierre Balmain, membre du jury. Il devient l’assistant du couturier de 1955 à 1962.
Multipliant les expériences, il accepte parallèlement le poste de directeur artistique chez Jean Patou en 1959 et crée le prêt-à-porter de Chloé dès 1963. Une maison qu’il ne quittera d’ailleurs qu’en 1983, l’année où il devient directeur de création de Chanel. Lorsqu’il arrive chez Fendi en 1965, ce travailleur infatigable est donc à la fois un styliste confirmé et une source d’idées nouvelles dans l’étouffante torpeur romaine. “J’étais à Milan, poursuit Karl Lagerfeld, et Franco Savorelli, un conseiller en relations publiques, avait été questionné par les sœurs Fendi afin de trouver quelqu’un pour réaliser des fourrures qui seraient un peu différentes, à Rome. Aussi j’ai rencontré les sœurs Fendi à travers lui. Leur mère était toujours là… Elle était formidable. Apparemment, elle était très dure avec les filles, mais avec moi elle était délicieuse.” Silvia Venturini Fendi, leur descendante toujours à l’œuvre en tant que directrice artistique des accessoires et de la collection masculine, indique à son tour (*) : “Les sœurs Fendi ont apporté une vraie révolution. À l’époque, Fendi c’était la belle qualité, mais pas très moderne. Ce sont elles qui ont embauché Karl, il était tout jeune, en 1965.” La fille d’Anna Fendi – et mère de la créatrice de joaillerie Delfina Delettrez – apprécie son immense culture, qu’elle testait déjà adolescente : “Il connaissait tout. Je comprenais qu’il y avait une forte excitation autour de lui, que le jour où Karl arrivait, ma mère était différente. J’ai voulu comprendre pourquoi elle était si heureuse ces jours-là. Après j’ai compris : il était tellement habile. Je restais des heures autour de la table, c’était magique ce qu’il faisait, et fait toujours, avec un crayon.”
L’une des premières tâches de Karl sera d’ailleurs un pur dessin : le logo Fendi en double F inversé, symbole de “Fun Fur”. Tout au long de ses 50 ans de présence, il va insuffler une énergie nouvelle à la maison. Lorsque Loïc Prigent demande au créateur s’il a passé beaucoup de temps chez Fendi, il précise : “En ce temps-là, on passait beaucoup plus de temps au travail, ce n’était pas comme aujourd’hui où l’on peut envoyer ses dessins par téléphone. Dans ces années-là, même la poste pouvait prendre trois semaines. Et le fax n’existait pas. Et puis j’ai eu un appartement à Rome, j’y ai passé beaucoup de temps. La vie à Rome était différente. Maintenant, je ne reste jamais longtemps nulle part. Les méthodes de travail ont tellement changé que je n’ai plus le besoin d’encombrer les gens de ma présence…” Durant ce demi-siècle – une éternité en temps de mode –, il imagine notamment des collections de fourrure pour la haute couture, force des associations de matières inédites et lance le prêt-à-porter complet Fendi à partir de 1977. En 1988, il réalise sa première campagne publicitaire pour Fendi. Dès 1995, il introduit dans la collection les bords francs, allège les pelisses, multiplie les traitements spéciaux de cuirs et fourrures. En 2000, ce sont les incrustations – une spécialité maison – qu’il met en avant. Un vison gold couvert d’or 24 carats est le point d’orgue en 2008. Des prouesses techniques et esthétiques qu’il impose toujours chaque saison sans faillir aux collections féminines de la griffe, reprise majoritairement par LVMH en 2001. C’est cette histoire et sa créativité qui sont mises à l’honneur dans l’ouvrage disponible dans les magasins Fendi et quelques grandes librairies dès ce mois-ci. Archives, témoignages, illustrations et belles images se réfugient dans un coffret en bois. Une sélection de 200 croquis, dont l’ensemble des 120 dessins du logo Fendi au fil des ans, enrichit ce parfait coffee table book complété par un poster dessinant la silhouette de Karl en 50 000 photographies miniatures de ses esquisses. Pour fans de Fendi… Et de Karl, assurément.
Fendi by Karl Lagerfeld (éd. Steidl).
* Dans Libération en 2012.
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