Frédérick Gautier (FCK) est un artiste aux multiples vocations. Durant de nombreuses années, il assure la direction artistique de divers projets culturels – expositions, éditions et films – et collabore notamment avec David Lynch. Parallèlement il décide de se lancer dans des études de paysagiste à l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles, à la suite desquelles il réalise la subversive performance Royal Splash dans le grand canal du Château de Versailles, sous l’oeil et la caméra complices d’agnès b.
Cette année FCK déplace son atelier et investit, durant plus de trois mois, la péniche la « Louise Catherine », amarrée en face de la Gare d’Austerlitz. Aménagée en 1929 par le Corbusier, elle sert de refuge à l’Armée du Salut jusqu’en 1994. Aujourd’hui en réhabilitation, elle sera définitivement ouverte au public en 2016. Aussi, l’événement OP TX100 constitue une avant-première à l’occasion du 15e anniversaire des D’Days, événement incontournable de la scène du design, et contribue à en révéler la vitalité.
OP TX100, titre énigmatique, tel un code secret ou un opus musical, cache la matière première de l’exposition : pas moins de 100 théières conçues par l’artiste. En effet, Frédérick Gautier est arrivé sur la péniche ayant en tête l’idée de théière, un concept qu’il a ensuite décliné et développé. Un riche dialogue s’est alors instauré entre le lieu et la production in-situ. Il confie : « L’aspect circulaire de la théière, la « T », m’a été inspiré par les colonnes du « Corbu », que l’on retrouve d’ailleurs dans toutes ses constructions. C’est une forme qui n’était pas prévue au départ. »
L’objet lui-même joue sur une ambiguité entre l’utilitaire, la « micro-architecture », et la sculpture. « On me dit souvent que c’est architectural, c’est vrai, je viens d’ailleurs de cet univers. La « T » évoque aussi les silos à grain agricoles. Walter Gropius disait qu’il n’y a rien de plus beau au monde après les pyramides, que les silos à grain américains » explique Frédérick Gautier, grand admirateur du Bauhaus.
Il est, pour lui, primordial que l’objet soit fonctionnel : « Le premier objet que j’ai voulu produire était une assiette, extrêmement sobre, sans fioritures, qui répondait à un simple besoin. De même pour la théière, je consomme énormément de thé, ma fille adore ça également! » Arnaud Bachelin, spécialiste du thé, a conseillé l’artiste tout au long de sa résidence. La fonctionnalité de la théière a ainsi été validée par l’expert. Grâce à l’émail appliqué à l’intérieur, l’objet est imperméabilisé, ce qui permet également de ne pas en altérer le goût. L’artiste ne laisse rien au hasard, la tasse elle-même, à la matière brute rappelant le béton, est donc pourvue d’une fine couche d’émail à l’espace des lèvres, offrant une extrême douceur à la dégustation. Le restaurant qui ouvrira prochainement sur le toit-jardin de la péniche mettra en service la vaisselle réalisée par Frédérick Gautier.
La forme de la « T » a été élaborée au fil de nombreux tests de fabrication. Si 100 théières sont exposées, c’est plus du double qui ont été produites. « Ce qui m’intéresse dans la répétition du même objet, c’est le lâcher-prise, il permet d’entrer dans un état méditatif. »
Mais sa production n’est pas machinale pour autant, l’artiste reste à l’écoute de toutes sortes de sensations. « Je travaille la terre en plaque, le temps de séchage permet une terre très agréable à travailler. Je la coupe au couteau ou au cutter comme du cuir, et je le ressens vraiment comme une dissection de souris. »
Chacune des oeuvres de FCK, est numérotée par ordre chronologique, toutes productions confondues. Pour les « T » le chiffre fait partie intégrale de l’objet. Il est gravé sur sa partie visible, tel le numéro d’une maison. « Le toit-cheminée » est d’ailleurs le nom de l’une des théières. « Avec le numéro, j’aime bien l’idée du temps qui passe. Le travail de Romain Opalka m’intéresse beaucoup à ce niveau-là. Le chiffre 1000, par exemple, a été atteint à Noël. Les chiffres sont liés aux souvenirs des périodes pendant lesquelles j’ai fabriqué chaque objet. C’est aussi une façon de les référencer. »
Ces théières bras grand ouverts, ont chacune une identité propre, seul leur diamètre est constant. Leur forme géométrique permet de les assembler comme dans un jeu de construction donnant à chaque fois naissance à une nouvelle oeuvre. « Une simple photo peut provoquer une perte de repère d’échelle » et ainsi renvoyer à des proportions monumentales. À la contemplation de ces objets, un nombre infini de significations surgit et évolue, laissant libre place à l’imaginaire de chacun…
Le choix de Frédérick Gautier pour OP TX100 est de présenter chacune de ses « T », sur les alcôves du Corbusier. Dans ces « appartements » ou « loges », elles sont seules en scène exposant leur singularité dans cet espace charismatique, éclairé par un simple projecteur. Elles semblent attendre que nous les saisissions, dans une danse propre à la cérémonie du T.
Lola Perez-Guettier
Informations pratiques :
L’exposition OP TX100 se déroule jusqu’au 14 juin. 50 Quai d’Austerlitz. Lun, Mar, Mer, Jeu, Ven, Sam de 11H à 20H, et le Dimanche de 13H à 18H. La « T » sera disponible à la boutique MARCEL BY, et sur commande, au prix unique de 500 euros, accompagnée d’une petite étagère d’exposition. Xavier Barral accompagne également le projet par un catalogue dont 200 sont numérotés. Les catalogues seront en vente à la galerie et à la péniche Louise Catherine.
http://fck-frederickgautier.com
Cet article La péniche du Corbusier à l’heure du T est apparu en premier sur L'officiel de la mode.