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La réouverture des Bains vue par Ariel Wizman

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Alors que le club mythique rouvre ses portes, avec un hôtel de dix-neuf chambres et suites, un jeune homme moderne nous conte l’histoire branchée et mouvementée de l’établissement de la rue du Bourg-l’Abbé.

Par Ariel Wizman

 

Je suis ivre, les soucis ne traversent pas mon âme, des pompons rebondissent sur mes mocassins, jaillis de mon 501 brut trop large. Kid Creole a installé autour de moi son New York portoricain de bazar, et je m’agite au milieu d’une page vivante d’un magazine people, maquettée par Jean-Paul Goude. Il est 5 heures. Je confonds – il est 5 heures – Jerry Hall et Amanda Lear, mais je sais que cette blonde qui danse la tête renversée vers le néant est l’une des deux. Thierry Mugler cache de ses épaulettes le crâne déjà chauve de Jean-Baptiste Mondino. Il y a comme une électricité érotique entre Iggy Pop et Yves Mourousi. Elli et Jacno se désarticulent, genoux pliés et gin tonic en main. Wouah, 1984, l’an 2000 arrivera bien un jour, mais c’est loin pour tout le monde, sauf pour Philippe Starck, qui parle fort au bar. Je suis aux Bains Douches, la boite devenue, en plein déclin du Palace, l’étape unique de la tournée des grands ducs du Paris de cette époque. Car tout était simple, alors, et Paris n’avait besoin d’aucun guide hipster, avec indications GPS. Il aurait contenu une seule adresse : les Bains. Si on voulait fuir les vieilles “boîtes de nuit” et leurs frimeurs pédophiles, il n’y avait qu’un salut, les Bains, 7, rue du Bourg-l’Abbé, la discothèque dont les abords étaient déjà une boîte de nuit, et qui faisait danser jusque chez soi, jusque dans le lit, jusqu’au réveil. Un dancefloor, un ventilateur géant, une piscine, un bar, un restaurant, ça aurait pu sonner comme un country club, mais c’était juste le contraire. Les Bains étaient une expérience, jamais répétitive, et qu’on répétait donc tous les soirs. Le cercle très fermé des clubs historiques où “tout le monde était là tous les soirs” comprenant, pour Paris, le Palace, les Bains, le Baron et… voilà.

 

LooksLooks désargentés

Un ancien établissement de Bains, en plein “clean” (oui, ce fut un mouvement de mode) et “cold” (un autre) ça “faisait du sens”. Dès l’entrée, et son perron majestueux où sévirent la cassante Farida Khelfa (oui, that Farida), le regretté Jean-Louis Georges, l’adorée Jenny Bel’Air et la redoutée Marie-Line (“Ça va pas être possible ce soir”), on sentait une fraîcheur, une santé. Que la nuit se chargeait d’entamer, et que l’histoire a enterré, avec les défunts de l’héroïne et du sida. Les mosaïques, les proportions de hammam, les frises ornées de fresques étaient le décor parfait, la caisse de résonance idéale pour cette musique électronique que commençaient à balbutier les synthétiseurs. Garçons et filles, qui ne s’embarrassaient pas de pudeurs excessives, se revendiquaient “modernes”, comme le magazine Actuel, et les Mathématiques Modernes, groupe cold wave d’Edwige, alors reine de la nuit. Les Bains auront accompagné le glissement du punk vers la froideur, le dandysme, la disco, puis le braquage des codes BCBG au profit de la drogue, de la danse et du sexe (dans cet ordre). Il y avait donc aux Bains des “jeunes gens modernes”, convaincus que le salut était dans l’inconséquence et qui s’accordaient un crédit “vanité” illimité. Leur look venait des puces, leurs danses de nulle part, leur bassin creux flottait dans leur pantalon à pinces resserré par une cravate. Certains étaient très efféminés mais se battaient très bien. Les filles, elles, avaient cette cambrure que soulignaient des fourreaux coupés dans des tubes de stretch noir du marché Saint-Pierre, auxquels une paire de Dim moirés suffisait. Leur moue, barbouillée de rouge sang YSL, se devait de défier l’ennui. Certaines, après avoir galoché Mick Jagger ou Mickey Rourke, ont épousé ces fils de grandes familles que la physio avait laissé rentrer par erreur. Ces looks désargentés ne devaient rien, mais alors rien, aux marques. C’est sans doute la raison pour laquelle on n’a jamais vu, depuis, de lieu si fréquenté par les couturiers et designers. Ceux qui affirment s’inspirer “de la rue” l’ont bel et bien découverte là. Car les Bains brassaient du banlieusard stylé, de l’héritier fugueur, du Rolling Stone d’humeur flamenco et du grand architecte tout en distance. Bien sûr qu’on y était snob, mais c’était juste le nom d’un “vieux jeu” qu’on ne jouait pas sérieusement. Le snobisme était un second degré, désuet, et les Gaultier, Mugler ou Montana n’y étaient pas encerclés d’un cordon de velours, avec leur RP, posés devant un seau à glace géant amené par une candidate de téléréalité. Quand chacun s’était toisé, chacun se parlait, car les Bains les réunissaient tout simplement. Magie du lieu. Ce qui garantissait cette simplicité, c’était le billard (vite disparu mais ouvert à tous) et aussi la piscine. Ce grand bleu limpide, ce bassin de pureté au milieu des vices, pouvait d’un coup inciter n’importe qui à s’y jeter tout nu. Et ainsi briser en un éclair les conventions, les positions sociales. Les portables n’avaient pas d’appareils photos, pour la raison qu’ils n’existaient que dans les voitures des PDG en costumes croisés. Faire l’amour dans un coin, derrière un rideau, même quand on a vendu quelques millions de disques ? C’était encore jouable. Et ça se jouait. Pour cette raison, les Bains c’étaient, tous les soirs, des milliers d’histoires qu’on s’empressait d’oublier pour en vivre d’autres le lendemain.

 

New-WaveFleuron new wave

L’histoire tout court commence, elle, au xixe siècle, avec une famille, les Guerbois, qui créent dans ces lieux une sorte de proto-spa, dans lesquels Marcel Proust, dit la légende, aimait se détendre en compagnie. Oui, ces porteuses de flamme encadrant ce perron aristocratique virent défiler des “baigneurs”, ceux des Halles et les autres, qui n’avaient pas toutes les commodités à domicile. Le Maurice Marois qui rachète la belle endormie dans les années 1960 est un professeur de médecine qui aime la pierre et dont le fils, l’élégant Jean-Pierre, est encore aujourd’hui le maître des lieux. Lorsque les Bains, réveillés par le duo d’antiquaires Fabrice Coat et Jacques Renault, rouvrent officiellement en décembre 1978 en club, il est adolescent et rue dans les murs patrimoniaux. Poliment, les locataires avaient invité les propriétaires et le petit Jean-Pierre s’attendait à tout sauf à voir les créatures pâmées de la branchitude s’égayer dans l’investissement familial. Cette licence, pour ne pas dire cette décadence, le scotche : propriétaire incognito, il sera chez lui tous les soirs aux Bains, errant entre les musiciens et les mannequins. Aux Bains Douches, pour être exact (entre branchés on disait même le BD), terme qui ne sera diminué en les Bains qu’avec la cession à Hubert Boukobza et son compère Claude Challe, en 1984. On peut dire qu’avec Coat et les autres, on avait assisté à une fusion de talents catalysés en un point X. Sous la baguette de Pierre Benain, directeur artistique, Philippe Starck avait libéré sa créativité destructrice, Pierre et Gilles transformé les cartons d’invitation en ex-voto, alors que David Rochline avait gracieusement enluminé, dans la frise toujours présente à droite de l’entrée, cette fin des années 1970 violée par la nouvelle vague. La new wave dont les fleurons (Joy Division, Depeche Mode ou Suicide) défilent sur la scène en live pour les happy few. Difficile de décrire ce petit univers, celui des Halles de l’époque, futur quartier de punk à chiens, où “zoulous” de banlieue et “genreux” (comprenez bon chic bon genre) du 16e arrondissement se croisaient l’après-midi, pour montrer leur nouveau flight jacket ou l’harmonie de leur bombers olive avec un bandana jaune. On peut juste dire que les “branchés” protégeaient leur statut, que chaque nouveau était scruté. Après le Palace, extravagant mais plus “industriel”, la rue Sainte-Anne et les boîtes gay comme le Broad et le Haute Tension, le passage aux Bains était le rite initiatique. La musique et la mode (qui n’intéressait pas forcément la jeunesse en ce temps-là) commençaient leur flirt, avec Jean-Paul Gaultier, Thierry Mugler et Claude Montana venus caster sur place les looks rockabilly, ska ou gay cuir. Hollywood, Saint-Barth, New York et Ibiza s’étaient donné rendez-vous sur ce dancefloor ou dans ce restaurant, avant-coureur du sushi-chic, avec une guest-list qui vous montait à la tête. Alain Pacadis, le chroniqueur mondain de Libération, l’homme le plus destroy de sa génération, se chargeait des échos quotidiens de cette vie – entre musique, futilités et sexualité dangereuse (le sida débarque). Il sera relayé par Thierry Ardisson et son talk-show Bains de minuit sur La Cinq, qui restera comme l’émission qui essayait de montrer le maximum de gens géniaux clopant et buvant à la télé. Le reste de l’histoire, Wikipédia vous la crachera avec ses dates et ses noms : les administrations Boukobza, Guetta, Corti, plus la kyrielle des habitués qui pourrait suffire à résumer des décennies de culture et de décadence.

Naissance d’un palace

Paul-Raeside

Il en reste ce je-ne-sais-quoi, l’esprit des lieux sans doute, que je caresse, rêvant dans l’un des deux patios du majestueux restaurant des nouveaux Bains, où je m’attarde sous la lune. Les Bains étaient une boîte de nuit renversante, un fracas qui a fait l’histoire, un attentat aux bonnes mœurs ? Ils deviennent un lieu à part, une bulle de luxe et d’audace. Un peu d’influence Anish Kapoor et beaucoup de cocktails ébouriffants pour le bar-restaurant, une renaissance en mystère et intimisme pour le club, et une décoration qui vous arrache du monde pour des chambres et des suites (avec hammams privés) qui racontent comment Paris ne rêvera plus jamais de Chateau Marmont. La renaissance des Bains n’est pas un exercice de secourisme, c’est tout simplement – enfin ! – la naissance du palace parisien non-rasoir, la vraie alternative aux vieilles dames en travaux, aux pompiers standardisé des chaînes avec musique lounge et au goût asiatico-qatari mondialisé. Oh, s’échapper avec un être, faire une belle bêtise, courir ensemble, au bout du souffle, vers ces lieux alambiqués faits pour l’amour et les étreintes très tardives. Si les Bains furent le centre de mon Paris, ils en deviennent le point de fuite. Comme si au cœur de la ville même, ils nous offraient Paris en exotisme. La sensation est indéfinissable, mais il faut reconnaître qu’être au balcon d’une suite, dans ces étages qui étaient un mystère alors pour les nightclubbers, procure une ivresse qui vaut bien celle d’hier. Tout a changé et nous sommes bien aux Bains. Nous qui fuyons les nostalgies, nous sommes là où il faut être, avec notre verre rempli du breuvage exact et une vue déroutante que je vous laisse découvrir ou, à défaut, rêver. Les Bains ont bien de l’esprit, et cet esprit a surgi, unique et fier, du sommeil des faillites et des chantiers des architectes. C’est bien, me dit mon deuxième cocktail Pisco, peut-être n’as-tu pas tant perdu ta jeunesse que ça, après tout.

Lesbains-paris.com

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